dimanche 15 décembre 2013

S'imprégner de ce qui est bon

Je suis plus vaste, meilleur que je ne le pensais. J’ignorai qu'il y avait tant de bonnes choses en moi.
Walt WHITMAN, « Chant de la grand-route »

Ce que nous vivons bâtit notre esprit comme ce que nous, mangeons bâtit notre corps. En sculptant peu à peu le cerveau, le flux des expériences façonne l'esprit. Certains résultats prennent la forme de souvenirs explicites : Voilà ce que j'ai fait l'été dernier ; voilà ce que j'ai ressenti quand j'étais amoureuse. Mais l'essentiel de ce modelage demeure à jamais inconscient. C'est ce que l'on appelle la « mémoire implicite », qui englobe nos attentes, nos schémas de relation, nos tendances émotionnelles et notre vision générale du monde. La mémoire implicite dessine le paysage intérieur de notre esprit – la sensation d'être « nous » – à l'aide des résidus lentement accumulés de notre vécu.
En un sens, ces résidus peuvent être classés en deux catégories : ceux qui sont bénéfiques (pour soi-même et les autres) et ceux qui sont nuisibles. Pour paraphraser la section de l'Effort Juste du Noble Octuple Sentier bouddhiste, il faut créer, préserver et accroître les souvenirs implicites bénéfiques, et limiter, éliminer ou décroître leurs pendants nuisibles.

LE PENCHANT NÉGATIF DE LA MÉMOIRE
Mais il y a un problème : notre cerveau scanne, enregistre, stocke et se rappelle de préférence les expériences désagréables. Comme nous l'avons vu, il agit comme du Velcro sur les expériences négatives et comme du Téflon sur les expériences positives. Par conséquent, même lorsque ces dernières sont plus nombreuses, la pile de souvenirs implicites négatifs grossit naturellement plus vite et vous incline à tort à la morosité et au pessimisme.
Bien entendu, les expériences négatives ont leur intérêt : la perte ouvre le cœur, le remords tend une boussole morale, l'anxiété met en garde contre les dangers, et la colère souligne les torts qui doivent être redressés. Mais ne pensez-vous que vous avez déjà suffisamment d'expériences négatives ? La douleur émotionnelle qui ne profite ni aux autres ni à soi-même n'est que vaine souffrance. Et la douleur d'aujourd'hui engendre celle de demain. Par exemple, un seul épisode dépressif majeur peut remodeler les circuits cérébraux et faciliter de futures rechutes.
La solution n'est pas d'éliminer les expériences négatives : lorsqu'elles se produisent, elles se produisent, ni plus ni moins. Mais plutôt d'encourager les expériences positives — et, en particulier, de nous en imprégner afin qu’elles fassent partie intégrante de nous-mêmes.

INTÉRIORISER LE POSITIF
Suivez les trois étapes suivantes :
1. Transformez les faits positifs en expériences positives. Il y a plein de choses positives autour de nous, mais la plupart du temps nous ne les remarquons pas – ou nous les ressentons à peine. Quelqu'un se montre agréable envers nous, une fleur s'ouvre, nous venons à bout d'un projet difficile, nous percevons une qualité admirable en nous – tout passe sans vraiment nous atteindre. Cherchez activement les bonnes nouvelles, en particulier les petits riens de la vie quotidienne : le visage des enfants, l'odeur d'une orange, le souvenir de vacances heureuses, un modeste succès au travail, etc. Quels que soient les faits positifs qui vous viennent à l'esprit, portez-leur une attention consciente – ouvrez-vous et laissez-les vous toucher. Imaginez-vous face à un banquet : ne vous contentez pas de regarder – allez-y, piochez !
2. Savourez l'expérience. Elle est délicieuse ! Faites-la durer en l'appréciant pendant cinq, dix, voire vingt secondes. Ne laissez pas votre attention s'envoler vers autre chose. Plus vous maintiendrez cette expérience dans la conscience, plus elle sera stimulante sur le plan émotionnel, plus vos neurones déchargeront et se raccorderont ensemble, et plus elle laissera une trace profonde dans votre mémoire. Focalisez-vous sur vos émotions et sur vos sensations corporelles, puisqu’elles sont l'essence de la mémoire implicite. Laissez l'expérience emplir votre corps et s'intensifier autant que possible. Par exemple, si quelqu'un se montre bon envers vous, laissez cette sensation réchauffer toute votre poitrine. Soyez en particulier attentif aux aspects gratifiants de l'expérience – par exemple l’effet d’une longue étreinte prodiguée par un être que vous aimez. En se focalisant sur ces gratifications, on augmente la libération de dopamine, qui facilite l'attention portée à l'expérience et renforce ses associations neuronales dans la mémoire implicite. Il ne s'agit pas de s'agripper aux récompenses – ce qui n'aurait pour effet que d'entraîner la souffrance – mais plutôt de les intérioriser afin de les porter en soi et de ne pas avoir à les rechercher dans le monde extérieur. Vous pouvez aussi intensifier un événement en l'enrichissant délibérément. Par exemple, si vous savourez, l'expérience d'une relation, vous pouvez invoquer d'autres sensations identiques, ce qui contribuera à stimuler l'ocytocine – « l’hormone de l'attachement » – et à approfondir votre sentiment de connexion. Ou, après avoir achevé un projet exigeant, vous pouvez renforcer votre sentiment de satisfaction en repensant aux défis que vous avez dû relever.
3. Imaginez ou sentez l’expérience pénétrer dans votre esprit et dans votre corps, comme la chaleur du soleil dans un T-shirt, de l’eau dans une éponge, ou un bijou dans un coffre au trésor logé dans votre cœur. Faites-le sans cesser de détendre votre corps et d'absorber les émotions, les sensations et les pensées liées à l'expérience.
(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p.107-111)

Machapuchare (6 993 m) (Népal)

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